Chères amies, Chers amis,
1968 – 2018 : il semblerait que cinquante ans plus tard ce soit mai en décembre ! Il est banal d’affirmer que l’Histoire bégaie. Est-ce à dire alors que la contestation violente du pouvoir et singulièrement de celui qui l’incarne à l’Elysée serait d’une nature similaire à celle de 68 ? Je ne le crois pas.
Alors que la jeunesse dorée du baby boom, politisée et « conscientisée » par les guerres coloniales et la CGT qui organisait la classe ouvrière, manifestait « pour » quelque chose et contre un pouvoir vieillissant incarné par un général de 78 ans que soutenaient encore 80% de la population, le mouvement auquel nous assistons n’a pour seule convergence que d’être « contre ». Contre Emmanuel Macron et son monde, contre ses réformes politiques et économiques, contre la caste qu’il incarne, contre sa jeunesse même, expression d’un monde demeuré étranger aux déclassés par la crise. Cette convergence des émeutes est plus brutale, plus spontanée, plus incontrôlable et ce faisant incontestablement plus dangereuse que celle de mai 68. Le caractère inédit du mouvement et sa diffusion par les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continue ont garanti sa réussite initiale. Pas de chef ni de structure, ce qui permet à toutes les déceptions, les frustrations et les mécontentements de s’exprimer, dans un pays où la rébellion bénéficie toujours d’une certaine sympathie. Ne l’oublions pas, notre hymne national est un chant révolutionnaire, notre fête nationale relate une émeute populaire qui déboucha sur la prise de la Bastille. Notre pays a connu quant à lui 18 révoltes populaires depuis 1624, la dernière ayant eu lieu en 2005 avec plus d’un million de personnes dans les rues !
Et pourtant, malgré la violence irraisonnée des émeutiers de décembre 2018, dont l’écho des cris répondait au grondement d’une bourse en flamme le 24 mai 1968, j’ai beaucoup de mal à trouver des excuses au chef de l’Etat. Il se voulait fort ce soir d’été quand, entouré de son Gouvernement et de quelques parlementaires pour justifier son attachement au fidèle Benalla, il s’écria : « Je suis le seul responsable. Qu’ils viennent me chercher ! ». Ils viennent désormais ! Fort aussi lors de ses déplacements à l’étranger d’où il attaque systématiquement les derniers de cordée, les fainéants, les Gaulois réfractaires. Et pourtant, ces femmes et ces hommes forment le peuple des oubliés, priés de s’adapter à la mondialisation, sans service public que le Gouvernement s’acharne à affaiblir, sans investissements réservés à la start-up Nation, sans perspective d’avenir parce que trop concentrés à gérer les difficultés du présent.
Et puis, notre pays est une vieille Nation politique qui s’est construite sur des corps intermédiaires destinés à nous représenter et à nous accompagner. Les corporations hier ; les syndicats, les partis et les élus aujourd’hui. Chacun à sa mesure concourt à l’organisation solidaire et humaine de la société. Or, depuis plus d’un an, avec une violence institutionnelle systématique et d’autant plus facile qu’il ne fut jamais élu, le chef de l’Etat n’a de cesse de dénoncer ces corps intermédiaires, de les affaiblir avec une rhétorique fondée sur les privilèges des élus et de ceux qui seraient « au-dessus de », alors qu’ils n’en sont que l’émanation et le miroir ! On devrait se méfier des hommes sans passé car ils sont alors sans mémoire. En revendiquant, avec Carl Schmitt, un dialogue direct avec la Nation, le chef de l’Etat a introduit un bouleversement dans nos institutions dont on mesure aujourd’hui la dimension historique et qui conduit les Français à retrouver le chemin des barricades. Plus sûrement encore, il illustre la fragilité d’une démocratie libérale dont on comprend enfin qu’elle est mortelle. Lamartine, héros de la Révolution de 1848, écrivit que « la colère consume et n’illumine pas ». C’est de lumière dont nous avons besoin et qu’il nous convient de retrouver ensemble avec urgence.
Bien à vous,
Hélène Conway-Mouret
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