Après tant d’efforts et de succès, alors que l’amitié entre la France et l’Allemagne bat son plein et que l’échéance de l’agenda franco-allemand 2020 approche, la proposition de suppression des classes bilangues de la réforme du collège surprend et déconcerte. Alertée par nos amis d’outre-Rhin, à la fois étonnés et déçus qu’une telle proposition ait même pu frayer son chemin jusqu’à la table autour de laquelle se débat le futur de la Nation, je me dois de relayer la réaction que notre annonce a suscitée. L’émotion de nos amis me touche, car elle révèle l’attachement profond pour notre rapport si particulier au cœur de l’Europe, soixante-cinq ans après le discours de Robert Schuman.
Pour reprendre les paroles de la déclaration du 9 mai 1950, « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni d’une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Cette solidarité, ce sont nos jumelages, nos échanges scolaires, universitaires, professionnels, ce sont nos réseaux de mobilité, nos accords et projets bilatéraux, mais aussi le travail d’institutions comme l’OFAJ/DFJW… Tout est rendu possible par la volonté d’échanger, de communiquer, malgré la frontière de la langue. Car c’est bien d’une frontière qu’il s’agit. L’étranger nous est différent du fait de son langage ; apprendre une langue, c’est abattre une frontière.
Goethe disait, de l’acte de traduire, qu’il reste toujours d’un texte une part d’intraduisible ; dès lors, on « s’aperçoit combien une langue nous est étrangère, ainsi que la nation qui la parle ». S’engager à préserver le bilinguisme, c’est s’engager à ne pas mettre à distance notre voisin, comme un Autre ; c’est faire de lui un proche. L’allemand est aujourd’hui la troisième langue étudiée en France. Son enseignement assure la pérennité du couple franco-allemand, couple moteur de l’intégration européenne.
Certes, il y a le coût, qui requiert un effort. Il me semble toutefois que pallier les carences du système éducatif ne se fera pas à travers la suppression de ces parcours d’excellence qui devraient compléter une gamme complète d’offre éducative. Au contraire, il faut les soutenir, les renforcer, il faut en faciliter l’accès pour les jeunes de tous les milieux. Les arguments budgétaires (de maigres économies, aux dépens d’un vaste projet) sont malvenus. Car ces filières ne sont pas une charge, mais un investissement. Elles sont une palette d’outils divers offerte à la jeunesse, afin qu’ils s’affirment sur le monde du travail européen et international. Ces outils, ce sont des savoirs et des langues. Voilà pourquoi nous devons soutenir les classes bilangues : de sorte que nos jeunes, forts de leurs savoirs et de leurs ressources, ne rencontrent aucun obstacle lors de leur circulation entre nos deux pays.
Si l’Europe veut avancer, il nous faut montrer que la France s’engage, maintenant plus que jamais, à maintenir la réciprocité dans sa relation particulière avec l’Allemagne. Les moments de crise, telle que celle que nous traversons, ne se dépassent pas seuls, mais à deux. Il m’importe pour l’heure de signifier combien il est crucial que nos pays demeurent unis et solidaires, dans les mots et dans les actes. Es lebe die deutsch-französisch Freundschaft !