Chaque année, les rencontres de l’Institut du Bosphore me donnent l’occasion de retrouver les amis turcs et français qui ont envie d’échanger et de renforcer ainsi les relations entre nos deux pays. Nazli Ümit Boyner et Anne Lauvergeon, qui co-président son comité scientifique, ont ouvert ses travaux pour la septième année avant que d’être suivis par Cansen Basaran-Symes – présidente de TUSIAD – et Charles Fries, ambassadeur de France en Turquie. Cette conférence s’est déroulée dans une atmosphère particulière due à la fois aux menaces terroristes qui pèsent sur la Turquie et dans l’attente du résultat des négociations sur l’accord entre l’Union européenne et la Turquie qui se déroulaient en même temps que nos tables rondes. Je pense que certains avaient alors à l’esprit la phrase de Valéry suivant laquelle un traité est toujours un accord entre des arrières pensées. Quelles sont-elles en la matière ?
Je suis intervenue lors de la première table ronde intitulée "Europe à géométrie variable versus Europe forteresse" dont vous pouvez retrouver ici les principaux points. Le débat fut vif et les questions débordèrent largement le cadre de notre relation bilatérale pour aborder le Brexit, le marchandage entre l’UE et la Turquie, et les valeurs auxquelles j’avais fait référence dans mon intervention. La deuxième table ronde fut consacrée à "Union européenne, France et Turquie : les enjeux d’une meilleure collaboration". La crise des réfugiés et les drames que vivent la région et les proches voisins de la Turquie ont amené les participants à relever les difficultés extrêmes que nos pays – au sein de l’UE – ont à résoudre les problèmes rencontrés en cette matière, a fortiori lorsque cela nous conduit à être en contradiction avec nos engagements ou nos valeurs.
Autour de Muriel Domenach, consule générale, j’ai ensuite rencontré les conseillères consulaires Marie-Rose Koro et Florence Ogutgen (Bernard Bugarella étant en déplacement) ainsi que les présidents des principales associations Français du monde-adfe, UFE, Trait d’Union, Accueil, l’Union française et la Passerelle. La proviseure du lycée français, Dominique Cornic, le COCAC, Olivier Ramadour, ainsi que le directeur de l’Institut français, Matthieu Bardiaux, ont abordé plus spécifiquement le défi que l’augmentation de la demande d’enseignement français représente pour le lycée Pierre Loti et les neuf établissements qui ont le label FrancEducation, ainsi que la place réservée à la diffusion de la création contemporaine française, aux films, au débat d’idées et la question des femmes qui semble transversale.
J’ai passé la fin de cette journée à Ankara, accompagnée de Marie-Rose Koro, pour faire le point sur les questions de sécurité et toutes les questions qui intéressent les Français résidant en Turquie avec Christophe Parisot, Premier conseiller, et son équipe. Avant de repartir le lendemain pour Istanbul, Bruno Balma et quelques amis franco-turcs, représentatifs de ces jeunes familles qui font le choix de vivre ou revenir vivre en Turquie, m’ont exposé les défis auxquels ils devaient faire face dans cette installation réussie pour la plupart. Leurs questions démontraient aussi combien le lien avec la France restait fort et mon rapport sur le retour utile.
L’annonce de l’horrible attentat à Istanbul nous a glacés de stupeur face à la barbarie aveugle qui continue à tuer des innocents. A notre retour, j’ai retrouvé le journaliste Bernard Guetta pour une longue discussion sur les enjeux géo-stratégiques de la région, les problématiques auxquelles doit faire face la Turquie confrontée à la crise des réfugiés, aux Kurdes et aux atteintes à la liberté d’expression qui touchent les journalistes, professeurs et intellectuels qui dénoncent les dérives autoritaires du régime. Les amis turcs et français que j’ai rencontrés avant de partir m’ont confirmé l’atmosphère anxiogène dans laquelle ils vivaient désormais entre les menaces d’attentat et d’arrestations de ceux qui osaient s’opposer au président. Les choix qui semblent être à l’œuvre me rappellent la phrase attribuée à l’empereur Nicolas Ier qui désignait l’Empire ottoman lors d’entretiens avec l’ambassadeur britannique Sir G.H. Seymour en 1853 comme « un homme malade, un homme très malade ».
Les associations sont actives et jouent un rôle crucial aujourd’hui dans ce maillage humain entre les cultures. Elles facilitent les rencontres et la compréhension de l’Autre. J’ai été heureuse de partager ces moments difficiles avec Virgile, Marie-Rose et bien d’autres. Il est plus facile de combattre la peur quand on est uni.