Dans la perspective du Conseil européen extraordinaire qui se tiendra les 17 et 18 juillet, où les dirigeants de l’Union européenne débattront du plan de relance pour faire face à la crise de la Covid-19 et du nouveau cadre financier pluriannuel, j’ai souhaité lancer cet appel à la préservation des budgets consacrés à la sécurité et à la défense. Car investir aujourd’hui dans la recherche et le développement, c’est garantir la paix demain sur notre continent.
Je me réjouis que cette tribune, parue dans Le Monde du 13 juillet ainsi que dans 6 autres journaux européens dans leur langue respective, ait été signée par 21 parlementaires issus de divers États-membres.
Retrouvez ci-dessous le texte de ma tribune, ainsi que les liens vers sa publication dans la presse européenne.
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« Demain est un autre jour ».
Cette exclamation, nous l’entendons d’un pays à l’autre sans avoir cependant la certitude de ce que nous désirons en faire. Si la pandémie du Coronavirus a dévoilé certaines de nos faiblesses, elle nous met en effet surtout face à nos responsabilités dans les priorités que nous allons définir pour nos pays et notre continent. Nous sommes, nous le devinons intuitivement, dans une situation économique et sociale plus grave qu’après la seconde guerre mondiale. Certains, en 1950, ont su – nous pensons à Alcide De Gasperi, Konrad Adenauer, Joseph Bech, Sicco Mansholt, Paul-Henri Spaak ou Robert Schuman – dépasser les égoïsmes nationaux. Ils jetèrent alors les bases d’une Union européenne dont nous sentons cependant aujourd’hui que faute de réaffirmer sa solidarité et son originalité, celle-ci joue son avenir. Nos responsables politiques nationaux auront naturellement demain l’obligation de gérer le court terme afin de répondre aux besoins et aux attentes des populations. Le temps politique n’est cependant pas toujours le temps court. Or, la possibilité de se projeter dans la prochaine décennie existe avec le calendrier des négociations sur le cycle budgétaire européen pour les années 2021-2027 qui s’ouvre. Il est à craindre cependant que la défense de l’Europe, qui pourrait symboliser cette identité commune après laquelle nous courrons, ne consacre au contraire un abaissement politique durable de l’Union.
De précédentes négociations ont en effet conduit à une réduction substantielle du Fonds européen de Défense (passé de 13 milliards d’euros sur 7 ans selon le projet de la Commission à 8 milliards aujourd’hui) et du projet de mobilité militaire (passé de 6,5 milliards sur 7 ans à 1,5 milliard aujourd’hui). La pression sur les dépenses de défense européenne sera cependant encore plus forte demain dans un contexte, où les thèmes de résilience, sécurité sanitaire ou sécurité humaine attireront plus facilement les dépenses publiques. Qu’en sera-t-il alors de notre avenir ?
Nous pensons que revenir sur les engagements pris au cours des années passées, et avalisés par le Parlement européen, en matière de relance de la défense européenne serait une erreur stratégique. Nous, parlementaires et responsables politiques, appelons les chefs d’Etat et de gouvernement à donner à la défense européenne toute l’attention qui s’impose car, si le développement d’un outil de défense n’a aucune légitimité à lui seul, force est de constater que les besoins auxquels il répondait hier, persisteront demain.
Premièrement, si l’environnement stratégique est aujourd’hui fondamentalement affecté par la crise sanitaire, les menaces préexistantes n’ont pas disparu et nombre d’entre elles risquent d’être au contraire aggravées par la crise actuelle. L’instabilité à la périphérie de l’Europe – de l’Afrique du Nord au Proche et Moyen Orient en passant par l’Ukraine – sera d’autant plus forte que le Covid touchera des sociétés peu résilientes et dont les systèmes politiques sont déjà fragilisés par des mouvements de contestation structurels.
Deuxièmement, la crise sanitaire n’a fait qu’exacerber la confrontation entre les Etats-Unis et la Chine, chacun de ces deux pays incarnant pour l’autre l’ennemi responsable de la pandémie, tandis que les instances de gouvernance mondiale sont critiquées et mises à l’écart. De son côté, la Russie a confirmé à la faveur de cette pandémie sa posture agressive, notamment par ses entreprises de désinformation et de cyber attaques ciblant les Européens en particulier. Il n’est pas certain à ce stade que la Chine ou la Russie sortent renforcées de la crise, mais dans les deux cas, l’affaiblissement de l’Europe ne fera qu’aiguiser leurs visées stratégiques.
Troisièmement, les Etats-Unis, lourdement affectés par la crise, semblent renoncer – à rebours de notre histoire commune – à tout leadership mondial tout en délaissant leurs alliés européens confirmant ainsi une tendance au découplage croissant entre l’Europe et le continent Nord-américain. Quelle que soit la couleur de la prochaine administration, le recentrage américain sur des préoccupations nationales, pour des raisons économiques mais également d’ordre stratégique, semble être le scénario le plus probable ; et que nous le regrettions n’y changera rien.
Dans ce contexte, la capacité des Européens à assurer par eux-mêmes leur défense est plus que jamais d’actualité. Il convient de maintenir les niveaux d’investissement déjà agréés par la Commission européenne pour les initiatives relatives à la défense. Le FEDef doit apporter un soutien financier substantiel au développement de capacités autonomes européennes ainsi qu’à la recherche de défense par des investissements dont les américains ont depuis longtemps démontré le caractère dual (militaire et civil). Au niveau national, il est à craindre que les budgets de défense souffrent de coupes budgétaires imposées par la crise économique augmentant ainsi leur vulnérabilité en rognant sur des dépenses destinées à assurer leur propre sécurité. Or, le maintien envisagé des financements européens permettrait tout à la fois de compenser la baisse simultanée des budgets (pour un montant inférieur aux économies réalisées) tout en accroissant la sécurité européenne !
Enfin, les investissements décidés au niveau européen devront tenir compte des enseignements de la crise actuelle et réserver une part importante des budgets à des projets en lien avec le développement de la résilience, qu’il s’agisse de la lutte contre les menaces cyber et la désinformation, ou du développement et la coordination des moyens de protection civile et d’infrastructures critiques. Nos compatriotes soutiendront d’autant plus les dépenses de défense à l’échelle strictement européenne et redonneront leur confiance à l’Union européenne, que celles-ci répondront à l’évolution des menaces et donc à leurs propres vulnérabilités.
Cette crise montre à quel point la dépendance de l’Europe dans des domaines stratégiques crée la vulnérabilité de ses citoyens, et à quel point les investissements d’aujourd’hui font la capacité d’action et la résilience de demain d’une part, la capacité de maitriser la conception technologique et la fabrication industrielle de grands programmes de l’autre. Y renoncer dans le domaine aéronautique ou informatique, des communications ou du renseignement, c’est devoir irrémédiablement après-demain s’en remettre à un autre qui nous verra alors comme un vassal et non plus seulement comme un client privilégié.
Alors que la crise rend le monde plus incertain et dangereux, les Européens ne peuvent renoncer à ce qui doit assurer aux Hommes de l’Europe leur sécurité et leur liberté. La liberté de choisir notre destin est à ce prix.
Nous, parlementaires nationaux et européens, demandons à nos chefs d’Etat, réunis les 17 et 18 juillet prochains à Bruxelles, de faire de la sécurité des citoyens et de la défense de l’Union une des priorités de la discussion budgétaire européenne.
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- Retrouvez ci-dessous ma tribune dans la presse écrite grecque : Ethnos.
- Retrouvez ci-dessous ma tribune dans la presse écrite slovaque : SME.sk.
- Retrouvez ci-dessous ma tribune dans la presse écrite italienne : La Repubblica.