En juillet 2020, à l’occasion d’une question au Gouvernement, j’avais interrogé la Ministre de l’enseignement supérieur, en m’étonnant notamment que n’ait pas été lancé, dès l’arrivée aux responsabilités, un grand plan de relance globale sur le quinquennat, afin de rattraper les sous-investissements structurels dont souffrent nos universités. Le constat est criant. Il faudrait ouvrir une nouvelle faculté tous les ans pour accueillir les plus de 30 000 étudiants supplémentaires, alors que la dotation par étudiant ne cesse de baisser : elle est à l’heure actuelle au niveau de 2008. Ce problème financier pèse également sur l’emploi, avec une baisse très nette des recrutements due à la précarisation de l’emploi des enseignants-chercheurs. A l’époque, la Ministre, Frédérique Vidal avait partagé mon constat selon lequel « il est temps de réinvestir massivement dans la recherche dans notre pays ». Et d’ajouter « Nous devrions construire une université par an : mais, vous le savez comme moi, la construction d’une université se prévoit. On savait dès les années 2000 que la courbe démographique atteindrait son pic en 2018 et ce gouvernement n’est arrivé au pouvoir qu’en 2017. Il nous était très difficile de construire une université par an et, surtout, de rattraper ce retard. » Face à cet auto-satisfecit, il m’était apparu nécessaire de conclure sous cette forme « Vous n’êtes pas sans savoir qu’il règne, surtout, une grande inquiétude pour la rentrée prochaine. Le Sénat sera au rendez-vous pour voter des crédits pour votre ministère, comme il l’a été pour les repas à un euro. Nous avons besoin de soutenir nos universités, leurs personnels et les étudiants. »
Déjà prémonitoire, cette inquiétude s’est vérifiée avec l’examen en séance, ces derniers jours, de la loi dite de programmation de la recherche (LPR). De nombreux chercheurs ont saisi les parlementaires pour défendre leur statut et nous alerter sur la crise que traverse l’enseignement supérieur. En effet, la politique de la recherche française dispose de moyens budgétaires et humains qui sont sans cesse revus à la baisse, les conditions de recherche se dégradent et les cerveaux partent à l’étranger. Le projet de loi était donc très attendu par l’ensemble de la communauté scientifique et du supérieur. Hélas, ses mesures, loin d’être à la hauteur des enjeux, ont suscité de vives critiques et une franche déception. Comme l’a indiqué en séance notre cheffe defile Sylvie Robert : « Madame la Ministre, avez-vous conscience de l’intensité du rejet que provoque votre loi ? Et ce rejet n’est pas dogmatique, il est étayé, il est argumenté. ».
Les universités se sont également mobilisées contre un sous-amendement déposé par le
sénateur LR Stéphane Piednoir qui a provoqué, à raison, la colère de notre
collègue communiste, Pierre Ouzoulias et du Conseil National des Universités
(CNU). En effet, cet article autorise à « déroger pour un ou plusieurs
postes à la nécessité d’une qualification des candidats » de la part du
CNU. Nous avons apporté tout notre soutien à Pierre Ouzoulias qui déclarait aussi
« Si vous enlevez cette gestion nationale des corps au CNU, vous faites
tomber la totalité du système de l’enseignement supérieur (…) Si vous videz de
sa substance le CNU vous n’avez plus de service national de l’enseignement
supérieur ».
Malgré quelques améliorations apportées par le Sénat, notamment grâce à l’adoption d’amendements du Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (au premier rang desquels l’engagement de servir d’une durée de 6 ans pour les titulaires de chaires junior après leurs titularisation ou bien encore la suppression de l’article 20 bis qui permettrait aux présidents des universités de déroger aux règles d’organisation des examens et de délivrance des diplômes pour raison de « situation d’urgence » non définie par la loi) le projet de loi accroît la précarisation des chercheurs, doctorants et enseignants-chercheurs, en créant une myriade de contrats mal encadrés. Ce texte n’est rien d’autre qu’un nouvel outil de précarisation. En effet, le projet de loi prévoit des nouveaux « parcours de titularisation » à l’américaine (tenure tracks) pour accéder à une titularisation au bout de six ans maximum, des chaires de professeur junior, des contrats doctoraux de droit privé, ainsi que des CDI de mission scientifique, censés remplacer les CDD à répétition, mais prenant fin avec le projet de recherche associé. Ces dispositifs sont inscrits avec une absence totale de revalorisation salariale concrète et d’ouverture suffisante de postes. Les nombreux nouveaux contrats destinés aux doctorants, post docs et jeunes chercheurs se superposent à ceux existants et constituent encore des contrats précaires ou des possibilités de déroger aux modalités d’accès à la fonction publique qui iront grossir le nombre de contractuels de la recherche. Les quelques garanties apportées par le Sénat (prorogation pour congé de maternité et paternité, principalement) ne modifient pas fondamentalement les différents dispositifs. Enfin, un recours massif aux ordonnances va encore dessaisir le Parlement de sa compétence de législateur pour autoriser le gouvernement à traiter, sans concertation, de sujets aussi importants que les OGM ou la création d’une nouvelle exception aux droits d’auteur pour les arts visuels. Si nous saluons certaines avancées, telles que le renforcement de l’intégrité scientifique, la meilleure prise en charge des doctorants étrangers et la mensualisation du paiement des vacataires, nous ne pouvons que regretter ce rendez-vous manqué avec le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche.
C’est pourquoi, faute de moyens financiers et humains pour cette programmation qui couvre la période 2021-2028, lors du passage de ce texte au Sénat, les membres de notre groupe ont voté contre à l’unanimité.