Jeudi 10 juin, le Président de la République a annoncé la fin de l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure française.
La poursuite de l’engagement militaire de la France dans cette région, terni par de nombreuses pertes humaines en début d’année et par l’évolution du contexte politique au Mali, était en discussion depuis de nombreux mois jusqu’à faire l’objet d’un débat public au Sénat en février. En effet, si les forces de Barkhane ont enregistré des succès tactiques – notamment en neutralisant des chefs historiques dans la zone sahélienne – la pression militaire n’a pas eu raison des groupes terroiristes. Nous observons d’ailleurs une extension des groupes armés au-delà du Nord du Mali et leur prise de contrôle de certaines zones rurales du Burkina Faso et de l’Ouest du Niger. Un consensus s’était alors dégagé sur le fait que bien que les modalités de notre intervention aient vocation à évoluer et que la solution à cette crise ne soit que politique, un départ précipité risquerait d’être assimilé à une défaite stratégique et surtout contriburait à déstabiliser d’autant plus une région où la situation sécuritaire se dégrade progressivement.
Pour mener à bien le désengagement progressif de la France, le chef de l’État compte sur l’internationalisation et l’européanisation de l’effort, notamment par le biais d’une montée en puissance du groupement de forces spéciales « Takuba », afin de s’affranchir du risque d’un sentiment d’abandon du terrain malien et de vide politique. Or, pendant huit ans, les partenaires européens se sont montrés timides, voire réticents, à s’engager aux côtés de la France : loin de l’objectif des 2 000 militaires prévus par Emmanuel Macron à l’issue du Sommet de N’Djamena, le vivier de Takuba ne compte que 600 soldats (dont une moitié de Français, quelques dizaines d’Estoniens, de Tchèques et de Suédois). Alors que la situation s’enlise au Sahel, la mise en œuvre d’une alliance internationale centrée sur la lutte contre le terrorisme envisagée par le Président de la République demeure donc pour l’heure hypothétique et représentera un nouveau défi pour les États européens. Après le retrait du soutien annoncé de la Belgique et du Danemark, leur absence de réaction à cette décision révèle peut-être leur circonspection.
Il aurait été bon de définir une stratégie et d’engager une concertation avec nos partenaires européens avant de procéder à cette annonce, qui engage la sécurité de notre pays, voire de notre continent. Il eut été normal aussi de consulter les ministères concernés ainsi que le Parlement.
Retrouvez ici l’article de Corinne Laurent sur la fin de l’opération Barkhane (réservé aux abonnés).
Retrouvez ci-dessous l’article de Jules Fresard, qui m’a interviewée sur le départ du Général Lecointre pour Public Sénat :
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Départ du général Lecointre : «Il a rappelé de manière courageuse qu’il ne faut pas lier militaires et politiques», salue Cédric Perrin
Quatre ans après sa nomination, le chef d’état-major des armées a fait savoir dimanche 13 juin qu’il quitterait ses fonctions d’ici au 21 juillet. Un changement qui intervient au plus haut sommet de la hiérarchie militaire, alors qu’Emmanuel Macron vient d’annoncer le retrait progressif des troupes de l’opération Barkhane.
LE 14 JUIN 2021
Par Jules Fresard
Sa nomination comme son départ auront coïncidé avec deux moments charnières pour l’armée française. Nommé chef d’état-major des armées en juillet 2017, suite à la démission fracassante du général Philippe de Villiers – une première sous la Ve République – François Lecointre quittera ses fonctions le 21 juillet prochain dans un contexte tout aussi mouvementé.
Car celui qui occupe depuis quatre ans la plus haute fonction dans l’appareil militaire français a profité d’une interview accordée au Grand Jury, RTL, LCI-Le Figaro dimanche 13 juin pour officialiser son départ. Soit trois jours après l’annonce d’Emmanuel Macron concernant la fin progressive de l’opération Barkhane, déployée au Sahel depuis 2014. « J’ai souhaité partir, c’est mon souhait » a affirmé François Lecointre, souhaitant balayer par la même occasion de possibles dissensions avec le Président de la République. « Le président m’a dit qu’il souhaitait que nous continuions à travailler ensemble, car nous avons une même compréhension du rôle des armées […]. Je lui ai dit que je souhaitais réellement partir ». De son côté, l’Elysée a déjà annoncé le remplaçant de François Lecointre, en la personne de Thierry Burkhard, actuel chef d’état-major de l’armée de terre.
Une volonté ferme de dissocier armée et politique
Quelles raisons associer dès lors à ce départ ? La tradition d’abord, qui veut que le chef d’état-major des armées reste en place entre trois et quatre ans, soit la situation dans laquelle se trouve François Lecointre. Une durée relativement courte, qui s’explique par l’ampleur de la tâche. « Il a réalisé une période de commandement normale, et l’on savait depuis un certain temps qu’il allait quitter son poste. De plus, je considère qu’il est important que les militaires respectent les durées, puisque cela permet de laisser la place à la génération suivante » salue Cédric Perrin, sénateur du Territoire de Belfort et vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Autre raison, cette fois évoquée plus directement par le général Lecointre, celle de dissocier au maximum la fonction militaire du pouvoir politique, en quittant son poste avant la présidentielle de 2022. Dans son interview, François Lecointre a fait savoir qu’il ne souhaitait pas « qu’un chef d’état-major des armées, qui est un chef militaire, soit associé à un politique ». « Il est bon que les deux calendriers soient dissociés, afin d’éviter que l’on croie qu’un chef d’état-major est choisi pour ses opinions politiques » a-t-il continué.
« Il ne faut pas sous-estimer l’effet qu’ont pu avoir les deux tribunes cosignées par des militaires sur l’ensemble des armées. En se positionnant ainsi, François Lecointre envoie un message envers ses troupes. Les militaires peuvent avoir des opinions politiques, mais il est hors de question qu’elles s’expriment au travers de leurs fonctions. Lors de sa récente audition au Sénat, il a expliqué que le militaire est soumis au politique, et que cela doit rester dans cet état de cause », analyse Hélène Conway-Mouret, secrétaire de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La sénatrice des Français établis hors de France fait ici référence aux deux tribunes signées notamment par six généraux de réserve, faisant état de « risques de guerre civile » et appelant à une « protection des valeurs civilisationnelles », publiées fin avril et début mai, dénoncées par certains comme de possibles menaces de coup d’Etat.
« Il a rappelé de manière courageuse qu’il ne faut pas lier militaires et politiques. Les militaires sont en dehors de la sphère politique, et il était nécessaire de le rappeler », abonde Cédric Perrin.
Questionnements autour du retrait de Barkhane
Mais en dehors de ces raisons saluées par les sénateurs, à la Haute Assemblée, certains s’interrogent quant à la temporalité de cette annonce. Bien que la volonté de départ du général Lecointre soit connue de longue date par les spécialistes des questions de défense, son officialisation trois jours seulement après l’annonce du retrait progressif de Barkhane soulève plusieurs questions.
D’autant que comme le souligne Hélène Conway-Mouret, lors de son audition – dont le compte rendu n’était pas disponible sur le site du Sénat – par la commission des Affaires étrangères mardi 8 juin, le général Lecointre s’était montré dubitatif quant à un retrait total de l’opération Barkhane. « En audition, il a été clair, disant que si un retrait était annoncé, ce serait un aveu d’échec, et cela créerait encore plus de problèmes », souligne-t-elle. « Et le jeudi, le président annonce que Barkhane, c’est fini. Franchement, il doit être incroyablement déçu » croit Hélène Conway-Mouret.
Une annonce de départ jugée « brutale » par Joëlle Garriaud-Maylam, secrétaire elle aussi de la commission des Affaires étrangères. « Suite à son intervention en commission, j’ai trouvé cette annonce brutale, et cela soulève des interrogations », estime la sénatrice des Français établis hors de France.
Mais comme le rappelle Cédric Perrin, le retrait annoncé de Barkhane se fera sur le temps long, et le départ de toutes les troupes hexagonales dans la zone reste encore très hypothétique, laissant envisager que les doléances du général Lecointre sur ce sujet ont bel et bien été entendues. Car l’exécutif entend s’appuyer sur l’arrivée au Sahel de soldats internationaux, notamment via la force Takuba, composée de militaires européens devant se déployer pleinement cet été, afin de ne pas laisser un vide dans la région. Et les prévisions actuellement disponibles font état de 2 500 soldats français toujours déployés au Sahel en 2023, contre 5 100 actuellement. Ce qui fait dire au sénateur du Territoire de Belfort que « quand le gouvernement annonce le retrait de Barkhane, qui n’en est pas vraiment un, il fait beaucoup de communication, comme sur plusieurs autres sujets. Si plus de transparence était à l’œuvre du côté de l’exécutif sur ces questions, ce serait plus clair pour nos concitoyens » estime-t-il.
La question de la transparence
Car même s’il reconnaît que « le Président de la République est élu, en tant que chef des armées, et qu’à ce titre-là, c’est lui qui prend les décisions dans ce domaine, ce qui permet de gagner en efficacité et en réactivité », Cédric Perrin juge qu’« en matière de défense, le Parlement est de façon assez régulière, foulé du pied par l’Elysée ».
« Tout passe par l’Elysée, c’est dangereux. On est dans une démocratie ! C’est quand même incroyable qu’un Président se réserve des annonces, qui relèvent normalement du domaine de sa ministre des Armées. Ce pouvoir solitaire m’inquiète », tance Hélène Conway-Mouret. Un constat renforcé en sa qualité de rapporteur pour avis, aux côtés de Cédric Perrin, concernant la mission P146 relative à l’équipement des forces armées, au sein du projet de loi de finances pour 2021. « Nous sommes complètement mis de côté concernant le budget de la mission P146. Nous ne sommes tenus au courant de rien, alors que cela représente une somme de près de 13 milliards d’euros », regrette Cédric Perrin.
Interrogé par Public Sénat sur le retrait annoncé de Barkhane, Christian Cambon, président de la commission sénatoriale des Affaires européennes, avait averti. « On laisse du temps à l’exécutif, mais qu’il ne laisse pas la représentation nationale à l’écart ». Reste à savoir si le chef des armées saura se montrer conciliant face à ces demandes.