J’ai publié une tribune dans Le Monde pour faire part de mon inquiétude à l’égard de la pérennisation des restrictions décidées pour combattre la pandémie et du manque de cohérence dans la stratégie du gouvernement, dont les Français de l’étranger sont les premières victimes.
Retrouvez ma tribune en cliquant ici ou ci-dessous :
Tribune. Le 10 décembre 2020, l’Institute for Democracy and Electoral Assistance, think tank basé à Stockholm, publiait son rapport intitulé The Global State of Democracy, dans lequel il constate qu’en 2020, près de la moitié des démocraties au monde ont régressé du point de vue des standards démocratiques et du respect des droits de l’homme.
Selon ce même rapport, 43 % des démocraties ont même adopté des mesures de lutte contre la pandémie soit illégales, soit disproportionnées, soit non nécessaires. Plus récemment, au niveau national cette fois, le professeur d’éthique médicale Emmanuel Hirsch a publié un ouvrage au titre fort évocateur, Une démocratie confinée. L’éthique quoi qu’il en coûte (éditions Eres, 2021), dans lequel il se penche sur « la gouvernance solitaire et entre experts » de la crise sanitaire en France.
Confinements à répétition, couvre-feux, rassemblements interdits, état d’urgence sanitaire, parcs surveillés par des drones, traçage des personnes infectées via des applications… Il n’est aujourd’hui plus à démontrer que les mesures de restriction sanitaire ont amputé nos droits et libertés. Ce qui étonne davantage, c’est la douce facilité avec laquelle nous nous en sommes accommodés.
La menace de l’« effet cliquet »
Comme l’explique le philosophe Giorgio Agamben dans un article paru dans la revue Quodlibet, le 26 février 2021, « l’état de peur (…) [engendre] un cercle vicieux pervers : la limitation de la liberté imposée par les gouvernements est acceptée au nom d’un désir de sécurité (…) ». Il pointe le risque d’une « tendance croissante à utiliser l’état d’exception comme un paradigme normal de gouvernement » et c’est bien cela qui inquiète à l’heure où le régime transitoire ayant succédé à l’état d’urgence sanitaire est prolongé jusqu’au 31 décembre, alors qu’il devait initialement prendre fin le 30 septembre.
Mireille Delmas-Marty souligne très justement, dans un article écrit pour la revue Le Grand Continent, en janvier 2021, que nous sommes désormais confrontés à la menace de l’« effet cliquet », déjà observé après les attentats terroristes : il n’est pas exclu que le droit dérogatoire soit incorporé au droit commun, d’autant que les nouvelles technologies numériques, particulièrement utilisées dans la gestion de cette pandémie, façonnent nos comportements et créent chez nous des automatismes. Prenons garde à ne pas nous engager sur cette voie, qui nous éloignerait de ce qui constitue notre identité et nous rapprocherait des modèles autoritaires.
Personne ne peut contester la nécessité de mesures exceptionnelles pour surmonter une crise telle que celle due au Covid-19 et, d’ailleurs, la possibilité pour l’administration d’établir des règles dérogatoires au droit commun dans des situations où l’intérêt national, la sécurité de la population et l’ordre public sont gravement menacés existe de longue date ; elle trouve son origine dans l’arrêt Heyriès, rendu par le Conseil d’Etat en 1918 et qui donne naissance à la théorie des circonstances exceptionnelles. « Il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté comme on cache les statues des dieux », affirmait Montesquieu.
Incompréhension et désespoir d’une partie de la population
Cependant, outre la question de la pertinence et de la durée de ces mesures, la méthode choisie par le gouvernement interroge. Le mode de gestion de la pandémie est caractérisé depuis ses débuts par le manque de cohérence et de lisibilité ainsi que par l’absence d’évaluation des mesures adoptées, souvent perçues comme injustes et disproportionnées, parfois à juste titre. Il faut ajouter à cela le manque de prise en compte de la représentation nationale, des corps intermédiaires et des acteurs locaux.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant d’entendre certains de nos concitoyens dénoncer une « dictature sanitaire ». Bien que cette expression soit caricaturale et invoquée à tort, elle reflète l’incompréhension et le désespoir d’une partie de la population à l’égard des décisions prises par l’exécutif. Manier la carotte et le bâton, comme le fait le gouvernement en permettant aux vaccinés de ne plus porter le masque dans les lieux clos et en étendant le passe sanitaire aux lieux de culture et de loisirs ainsi qu’aux enfants ne génère que rancœur et frustrations et fissure un peu plus la cohésion sociale, alors que le gouvernement devrait, au contraire, chercher à préserver l’unité.
A cet égard, le comité de bioéthique du Conseil de l’Europe a d’ailleurs appelé, dans une « Déclaration relative aux droits de l’Homme concernant le “pass vaccinal” et les documents similaires », publiée en mai 2021, à des délibérations approfondies sur les enjeux de tels « pass » et à la prise de mesures pour garantir que les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous les individus soient protégés.
Impact négatif sur la cohésion sociale
Il a également mis en évidence des risques relatifs à la protection de la vie privée, un impact négatif sur la cohésion sociale et des risques de discrimination dont les Français vivant à l’étranger ont été les premières victimes. Après leur avoir refusé le retour en France dans un premier temps, leur demander de se faire vacciner à l’étranger pour ensuite leur dire que la France ne reconnaissait pas les vaccins, ils se sentent Français entièrement à part !
Le président de la République a affirmé à plusieurs reprises que « rien n’est plus important que la vie humaine ». Encore faut-il rappeler que cette vie n’est pas « nue » mais pourvue de sens et rattachée à des valeurs et à la société que nous devons préserver. Dans un pays démocratique comme le nôtre, l’une de ces valeurs est la concertation avec les citoyens et leurs représentants.
La démocratie n’est pas seulement politique, économique ou sociale, elle est aussi sanitaire. La crise due au Covid-19 n’étant probablement pas la dernière épidémie que nous affronterons, il est indispensable d’organiser des concertations les plus larges possible, nourries des retours d’expérience des acteurs de terrain (soignants, malades, commerçants, élus locaux), ainsi que des analyses des parlementaires.
Un risque d’affaiblir durablement notre démocratie.
Il est alors incompréhensible que les décisions qui nous affectent toutes et tous soient prises de façon complètement opaque par le seul chef de l’Etat, à la sortie d’un conseil de défense qui n’a aucune légitimité, et deviennent la norme de gouvernance. Il n’est pas sérieux non plus d’accorder deux jours au Parlement pour analyser un texte touchant aux libertés fondamentales.
La CNIL et la Défenseure des droits ont dénoncé les atteintes aux libertés individuelles et, si le Conseil constitutionnel supprimera du texte les parties illégales, nous voyons une nouvelle fois que le Parlement est totalement écarté du processus décisionnel. Les seuls aujourd’hui qui ont encore un peu de pouvoir sont les institutions de contrôle.
Trop de questions demeurent sans réponse pour donner suite à ce débat bâclé, imposé par le gouvernement sous forme de procédure accélérée. En évitant la confrontation dans l’Hémicycle il prend le risque de la retrouver une nouvelle fois dans la rue. Soyons vigilants, car la crise due au Covid-19 et l’état d’urgence sanitaire dont on n’entrevoit désormais plus la fin risquent fort d’affaiblir durablement notre démocratie.
Hélène Conway-Mouret – Sénatrice des Français de l’étranger (socialiste), ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères de 2012 à 2014 et vice-présidente du Sénat de 2018 à 2020