Du 27 au 29 juin 2023, nous avons examiné au Sénat la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030. Paradoxe ultime de ce texte : malgré le montant historique annoncé, les moyens capacitaires sont en diminution. Quelques explications s’imposent :
Cette LPM a quatre principaux objectifs :
- maîtriser les nouveaux espaces de conflictualité ;
- garantir la crédibilité de notre dissuasion nucléaire ;
- maintenir nos forces et atouts en matière de renseignements ;
- réussir les sauts technologiques.
Si les efforts sont réels, il n’en reste pas moins que cette LPM 2024-2030 contient des problèmes de forme et de fond. Sur la forme, elle a été préparée sans aucune concertation, ni avec les parlementaires, ni avec les industriels de défense. Sur le fond, elle est dépourvue d’une vision stratégique claire et de réelles priorités, que ce soit en termes capacitaire ou géographique. En voulant tout faire, on fait trop peu. C’est ce que j’expliquais dans mon interview pour Public Sénat.
Enfin, c’est un texte à trous que les 293 amendements présentés en commission ont tenté de combler. Avec le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat, nous avons tenu à parler en séance des grands absents que sont le terrorisme, l’intelligence artificielle, l’espace ainsi que la défense européenne.
Retrouvez ci-dessous l’intégralité de mes interventions en séance et les amendements que j’ai défendus afin de bonifier ce texte. Tous ont été adoptés.
UN EFFORT BUDGETAIRE POUR PLUS TARD ALORS QUE LES BESOINS EN ÉQUIPEMENTS SONT MAINTENANT |
J’ai tout d’abord pris la parole pour mettre en lumière une contradiction politique. Le gouvernement a choisi d’utiliser le terme « économie de guerre ». Pourtant, dans le même temps, il propose de reporter à plus tard l’effort budgétaire alors que les besoins en équipements militaires sont urgents. Le dilemme du ministère de l’économie et des finances, qui cherche à faire des économies, est compréhensible. Cependant, pour aller dans le sens de l’annonce présidentielle, et avec une opinion publique prête à consentir à ces efforts au regard de l’actualité en Ukraine et des menaces qui pèsent sur la sécurité de l’Europe, nous devons acter les dépenses au plus vite pour recevoir les équipements dont nos forces armées ont besoin maintenant dans cet effort de guerre.
DEMANDE D’UNE COMMISSION CHARGÉE DE RÉDIGER UN LIVRE BLANC SUR LA DÉFENSE EN 2028 |
Cet amendement vise à renforcer le dispositif prévu en mettant en place une commission chargée de rédiger un livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et en s’assurant que cet engagement sera tenu avant le 30 juin 2028. Ce délai est nécessaire puisque la LPM qui succèdera à celle examinée en 2023 sera voté dans le courant de l’année 2029. Un livre blanc est chargé de définir une stratégie globale de défense et de sécurité et n’est pas une contrainte dont l’objectif serait de limiter le budget des forces armées, comme le laisse à penser le ministre Sébastien Lecornu. C’est aussi l’occasion de donner une certaine visibilité, nécessaire à l’ensemble des acteurs chargés de notre sécurité : ceux qui produisent les matériels militaires, ceux qui les utilisent et ceux qui votent le budget. Pour les parlementaires, c’est autant le document qui est important, puisqu’il sert de référence, que l’exercice de concertation qui a manqué cruellement au texte que nous avons examiné. Je suis particulièrement attachée, comme l’ensemble de mes collègues, à la concertation et au travail approfondi et sérieux de réflexion qui, pour un sujet aussi régalien que celui de la défense nationale, demande un engagement de toutes et de tous. Il en va de notre sécurité et de la paix à laquelle nous aspirons.
ORGANISATION DE LA JDC POUR LES FRANÇAIS DE L’ÉTRANGER |
De nombreuses familles établies à l’étranger sont inquiètes lorsque leurs enfants ne peuvent pas accomplir la « Journée Défense et Citoyenneté » parce qu’ils vivent à l’étranger. Alors que son organisation est obligatoire, dans la pratique, la grande majorité des postes diplomatiques et consulaires ne l’organise pas. Les raisons invoquées sont d’ordre budgétaire, les postes ne bénéficiant pas d’une ligne budgétaire dédiée à cet effet, et d’ordre organisationnel faute de personnel suffisant. Le poste remet alors une attestation provisoire aux élèves qui leur permet de s’inscrire aux concours et examens d’État. Ceux d’entre eux qui reviennent vivre de manière pérenne en France avant leurs 25 ans doivent effectuer leur JDC. Beaucoup ont des difficultés pour remplir cette obligation. Ces élèves sont provisoirement en règle avec leurs obligations, d’où l’importance pour les familles vivant hors de France que la JDC se tienne à l’étranger comme prévue par la loi.
ALLOUER DES CRÉDITS POUR VALORISER LES MÉTIERS DE L’INDUSTRIE DE DÉFENSE |
Les industriels ne peuvent pas être les seuls sur lesquels doit reposer la promotion des métiers de l’industrie, encore aujourd’hui trop méconnus. Nous avons besoin de l’implication des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur pour changer de manière radicale la place que nous réservons aux enseignements techniques et professionnels dans notre système éducatif. Je propose de faire appel au « Plan 2030 », qui prévoit d’allouer plusieurs millions d’euros pour le renforcement de l’appareil de formation français pour allouer une partie de ces crédits au lancement d’une vaste campagne de communication afin de valoriser et faire connaître ces métiers.
FAIRE PARTICIPER LES INDUSTRIELS DE LA DÉFENSE AUX SALONS ÉTUDIANTS ET FORUMS D’ORIENTATION |
Cet amendement s’inscrit dans la continuité du précédent. Afin de faire face à la demande de produire plus et plus vite, nos industriels de la défense ont besoin d’ouvriers qualifiés et de conserver les compétences essentielles pour la fabrication de matériels très pointus. Durant nos multiples auditions avec mon co-rapporteur, nous avons entendus les difficultés qu’ils rencontrent pour recruter. Ainsi, par cet amendement, je propose de faire participer les industriels aux salons étudiants et forums sur l’orientation afin de mieux faire connaître les métiers de nos industries de défense.
FAIRE FIGURER DANS LE RAPPORT ANNEXÉ DE LA LPM LE NIVEAU D’AMBITION DE LA FRANCE DANS LE DOMAINE SPATIAL |
Le domaine spatial a connu trois évolutions majeures depuis la fin de la Guerre froide. Premièrement, le passage d’une activité spatiale militaire purement stratégique à un usage plus lié aux opérations elles-mêmes. La guerre en Ukraine a démontré l’accélération de l’utilisation de données spatiales en soutien à des opérations de combat. Deuxièmement, la multiplication du nombre de satellites en orbite. Troisièmement, une arsenalisation de l’espace qui transforme les satellites en cibles potentielles. En 2019 et 2021, l’Inde, puis la Russie ont procédé à des tests anti-satellites destructifs. En tant que puissance spatiale, la France a besoin de protéger ses matériels et ses intérêts. Sa capacité d’action dépend de son aptitude à surveiller l’environnement spatial pour détecter, puis attribuer les actes inamicaux ou illicites dans le cadre du droit international. Cet amendement propose donc de faire figurer dans le rapport annexé ce niveau d’ambition.
SUPPRIMER LA RÉFÉRENCE AUX ÉTABLISSEMENTS SITUÉS EN ZONE PRIORITAIRE LORS DES CAMPAGNES DE SENSIBILISATION AUX CARRIÈRES DE LA DÉFENSE |
Cet amendement a pour objet de supprimer la référence aux établissements situés en zone prioritaire pour tout effort de sensibilisation aux carrières de la défense. Ce serait introduire un biais de considérer que les élèves de ces zones en auraient plus besoin que les autres. Tout démontre dans cette LPM que cette sensibilisation doit s’adresser à tous. Les armées ont besoin d’attirer des profils variés en formant de nombreux jeunes sans diplôme mais aussi des jeunes diplômés.
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE AU SERVICE DE LA DÉFENSE |
L’IA est une technologie de rupture dans laquelle nous devons investir dès maintenant pour ne pas être distancés. Les pays européens ont déjà pris du retard. Alors que les trois-quarts des brevets en matière d’IA déposés entre 2010 et 2022 sont américains, seulement 2,4% sont français. L’IA représente un véritable enjeu de souveraineté. Le manque de financement pousse les entreprises européennes à s’installer aux Etats-Unis. En 2021, la BCE a estimé à 10 milliards d’euros le déficit annuel d’investissement de l’UE en matière d’IA. A titre de comparaison, la Chine ambitionne de devenir le leader mondial et investit 1,6 milliard d’euros par an dans l’IA contre 100 millions d’euros pour la France. Elle représente également un enjeu stratégique, opérationnel voire tactique. En triant et en classifiant un énorme volume de données, l’IA permet à nos armées d’anticiper et leur confère une supériorité informationnelle. In fine, elle permet d’améliorer les conditions d’engagement de nos forces. Pour toutes ces raisons, l’IA devrait être considérée comme un programme à effet majeur. Cet amendement a pour objectif de marquer la prise de conscience par le Parlement des enjeux que représente la généralisation de l’IA au service de la défense ainsi que des investissements nécessaires pour maintenir notre rang face à la concurrence internationale.
FAIRE APPARAÎTRE DANS LE RAPPORT ANNEXÉ CERTAINS PETITS PROGRAMMES NÉCESSAIRES AUX FORCES SPÉCIALES |
Les autres opérations d’armement forment l’épaisseur des forces des trois armées et revêtent une importance majeure pour la cohérence capacitaire d’ensemble qui ont été au cœur de la précédente LPM. Ces autres opérations sont toutefois moins visibles que les programmes à effet majeur. Cet amendement propose donc de faire apparaître dans le rapport annexé quelques-uns des petits programmes nécessaires aux forces spéciales.
CONSOLIDER LA BITDE EN RENFORÇANT LES COOPÉRATIONS DE DÉFENSE EN EUROPE |
Cet amendement s’inscrit dans la volonté de consolider et renforcer la BITDE. Nous partageons la même ambition européenne que l’exécutif. Nous avons pensé qu’il était nécessaire de réaffirmer cette volonté dans le rapport annexé car le contexte international nous oblige à nous unir. Nous avons une opportunité unique de consolider l’Europe des 27 et notre singularité stratégique ne doit pas nous empêcher de nous tourner vers nos partenaires européens pour établir des coopérations de défense et exporter nos matériels sans quoi ils s’organiseront sans nous.
LES ATTACHÉS DE DÉFENSE, ACTEURS ESSENTIELS POUR SCELLER DE NOUVEAUX ACCORDS STRATÉGIQUES |
Cet amendement vise à permettre à chaque ambassade de disposer d’un attaché de défense. L’ambition est de fabriquer pour exporter. En effet, pour certains grands groupes, l’exportation représente jusqu’à 60% du chiffre d’affaires. La présence en permanence d’un attaché de défense nous permettra de connaître à temps les opportunités à venir, de tisser des liens avec les autorités locales et de consolider des partenariats stratégiques qui sont essentiels à l’achat de matériels.
LANCER DE VASTES PROJETS INDUSTRIELS STRATÉGIQUES AVEC L’ENSEMBLE DE NOS PARTENAIRES EUROPÉENS |
La guerre en Ukraine a déplacé le centre de gravité de notre continent vers l’Est et élargi la vision d’une Europe centrée sur son noyau dur – composé des membres historiques – à une Europe plus inclusive. Les pays d’Europe orientale, centrale et du Nord se retrouvent au cœur de la nouvelle donne géostratégique. La Pologne est le premier pays de l’UE en matière de soutien militaire à l’Ukraine. L’Estonie a lancé l’idée d’un mécanisme d’achat conjoint de munitions au Conseil européen. Nous observons un véritable changement de paradigme. Le Danemark a approuvé son adhésion à la PSDC de l’UE mettant fin à 30 ans de non-participation du pays à la défense européenne. La Finlande et la Suède ont rejoint l’OTAN. A l’image de la Pologne qui a annoncé son doublement du budget militaire en 2023 pour atteindre 4% du PIB, l’ensemble des pays européens augmente de manière inédite depuis des décennies leur budget de défense. Malheureusement, cela mène à l’achat massif de matériels non européens. Comme il est fort probable que cet effort sera soutenu dans le temps, il serait judicieux de saisir cette opportunité pour lancer des projets industriels en coopération avec le plus grand nombre de nos partenaires européens. Nous disposons déjà d’outils, à commencer par le Fonds européen de défense. Cet amendement propose donc de prendre en compte cette évolution dans notre politique partenariale européenne. Il vise ainsi à élargir la liste des pays avec lesquels nous menons des projets capacitaires à l’ensemble de nos partenaires européens.