Un certain nombre de points que je souhaitais aborder ont d’ores-et-déjà été évoqués.
Je souhaiterais donc commencer par redire mon soutien plein et entier à notre réseau d’enseignement français, qui a démontré maintes fois sa capacité à résister aux crises. Il devra encore résister à l’année difficile qui s’annonce. Elle le sera sans aucun doute, car après le « réarmement » de notre diplomatie et de ses opérateurs publics annoncé pour 2024, vient de toute évidence le « désarmement » avec le projet de loi de finances pour 2025. Les baisses de crédits généralisées pour le ministère de l’Europe et des affaires étrangères – et pour l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) en particulier – font plus qu’annuler la hausse de crédits de l’année dernière. Nous nous retrouvons donc à la case départ et il est à nouveau demandé à l’Agence de faire plus, c’est-à-dire d’atteindre le doublement des effectifs à l’horizon 2030, sans la doter des moyens financiers et humains à la hauteur de la tâche et sans pouvoir de pousser les murs.
Cet objectif de doublement des élèves fixé par le Président de la République en 2018 est irréaliste, compte tenu de l’effet de ciseaux que nous observons aujourd’hui : d’une part la baisse des crédits alloués aux bourses scolaires (-6% en 2025) et d’autre part la hausse continue des frais de scolarité dans l’ensemble du réseau (+42,3% en dix ans). Ce phénomène conduit à la baisse alarmante de 17,1% du nombre de boursiers (soit 4 235 élèves) entre l’année scolaire 2022-2023 et l’année scolaire 2023-2024. Un système à double vitesse est ainsi en train de se mettre en place, avec d’un côté les familles les plus précaires boursières à 100% et d’un autre côté les familles les plus aisées qui peuvent assumer la charge des frais de scolarité. Cela crée un effet d’éviction des classes moyennes qui porte atteinte au principe de mixité socio-économique au coeur de la réforme des aides à la scolarité de 2012, conçue pour répondre de manière progressive aux besoins des familles.
L’accroissement du réseau passe donc, en réalité, par la montée en puissance des établissements privés. C’est la raison pour laquelle l’AEFE entend assouplir les procédures d’homologation pour favoriser l’ouverture d’établissements partenaires. Mais cette « croissance par le privé » pose la question de l’équilibre du réseau. Le secteur de l’éducation devient un marché marqué par une concurrence déloyale, entre des établissements en gestion directe (EGD), subissant les contraintes budgétaires qui cohabitent sur un même territoire avec des établissements privés disposant d’importantes capacités d’investissement. Nous devrons donc rester extrêmement attentifs à ce que, dans la gamme d’offres d’enseignement proposées aux familles, le réseau historique des établissements en gestion directe ne soit pas fragilisé et ne perde pas de son attractivité à l’égard des familles et des personnels.
Dans ce contexte global, j’aurais donc une série de points d’alerte et de questions.
- Premièrement, les familles boursières sont toujours fragilisées par la baisse de l’indice de parité du pouvoir d’achat (IPPA). Pour rappel, la prise en charge de tout ou partie des frais de scolarité est calculée grâce à un quotient familial, établi puis pondéré par l’IPPA, fondé sur le coût de la vie par rapport à la capitale française. Le niveau de prise en charge peut donc évoluer à la baisse lorsque l’IPPA est lui-même révisé à la baisse, ce qui a été le cas en 2024 dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. Le problème est toujours d’actualité depuis ma question orale, posée au mois de mai 2024. Un calcul fondé sur l’inflation constaté pourrait s’avérer plus pertinent qu’un calcul fondé sur le coût relatif de la vie à l’étranger, car il témoignerait du revenu réel disponible des familles. Y-a-t-il une réflexion de l’AEFE sur ce sujet ?
- Deuxièmement, les familles sont impactées par la hausse de la contribution progressive de solidarité (CPS). La CPS est passée de 2 à 7% pour l’année 2023-2024 avant de revenir à 2% pour l’année en cours. Une nouvelle augmentation au taux est-elle prévue pour la rentrée 2025 ?
- Troisièmement, le système de paiement des AESH demeure insatisfaisant et discriminant pour les familles les plus modestes. En effet, il repose sur le remboursement a posteriori de la rémunération de l’AESH. L’AEFE préconise d’ailleurs aux établissements du réseau de ne reverser le montant de l’aide que progressivement et sur attestation de l’AESH que son salaire lui a bien été versé. Or, de nombreuses familles n’ont pas les moyens financiers pour avancer ces frais. Est-il envisagé d’enfin résoudre ce problème en instaurant un véritable système de tiers payant ?
- Enfin, le précédent directeur de l’AEFE, Olivier Brochet, avait engagé une réflexion sur une réforme de l’avantage familial. Le système actuel est inégalitaire, parce qu’il repose sur le salaire du parent et qu’un personnel en poste dans une zone où les salaires sont élevés bénéficiera d’un avantage bien supérieur à celui d’un collègue en poste dans une région où les salaires sont plus bas, alors que les frais de scolarité peuvent être tout aussi élevés. Ce système est également dévoyé par certains parents bénéficiant de l’avantage familial et faisant néanmoins le choix de scolariser leurs enfants dans des établissements publics gratuits, ce qui assimile cette aide à une pure aide salariale sans qu’elle ne fasse vivre notre réseau à l’étranger. La précédente réflexion sur cette réforme, avec l’introduction de la gratuité pour les personnels du réseau, est-elle toujours à l’arrêt ?
En conclusion, j’ajouterais que dans le monde trouble dans lequel nous vivons – et je suis malheureusement très bien placée pour avoir une vision globale et particulière des crises et des guerres qui se déroulent dans le monde, en tant que membre de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat – notre réseau d’enseignement tient un rôle central pour faire le lien entre les peuples. Nous nous devons d’être exemplaires dans l’accueil des familles et de faire preuve d’humanité à l’égard des familles réfugiées d’ou qu’elles viennent.