J’ai présenté devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat le rapport 2025 « Equipement des forces » dont je suis co-rapporteure avec mon collègue Hugues Saury (lire l’essentiel).
Le projet de loi de finances 2025, qui met en œuvre la deuxième année de la loi de programmation militaire (LPM) avec sa marche de 3,3 milliards d’euros, constitue un moment de clarification. Nous avions vivement regretté, en 2024, l’emploi de l’expression « économie de guerre » qui ne correspondait pas à la réalité. Le rythme de production des munitions et des matériels ne permettait pas de répondre à un engagement de haute intensité, ni à aider suffisamment l’Ukraine. Les déplacements que nous avons effectués sur le terrain avec Hugues Saury au mois de mai à Bourges et en octobre dernier à Roanne ont montré l’évolution de la situation. Les processus de fabrication ont été adaptés afin d’accroître les cadences de production. L’assemblage des blindés du programme Scorpion, par exemple, s’inspire maintenant des lignes de production des grands constructeurs automobiles. Ces mêmes industriels ont investi dans des machines-outils ultra-modernes afin de constituer des stocks de composants.
Cette remontée en puissance de notre BITD permettra de poursuivre en 2025 les livraisons d’équipements prévus par la LPM (une douzaine de CAESAR, 20 Leclerc rénovés (XLR), 282 véhicules Scorpion, 8000 fusils HK416, 14 Rafale (standards F3 & F4), 5 Caracal et 5 Tigre rénovés, un A400M Atlas, une frégate de défense et d’intervention). Les effets seront également visibles en matière de munitions, la hausse de 27% des crédits permettant de regarnir les stocks d’obus, de bombes et de missiles.
Si nous pouvons nous réjouir de cette remontée en puissance, il convient néanmoins d’être réaliste sur son ampleur. Nous avons, en effet, demandé à l’état-major de nous indiquer ce qu’il entendait par « combat de haute intensité« , lequel nous a répondu qu’il avait pris pour référence un engagement de deux mois pour définir ses besoins en matériels, munitions et logistique. Ce délai de deux mois ne peut que nous interroger après bientôt trois années de guerre en Ukraine. Il est en effet trop bref pour permettre aux industriels de passer en économie de guerre et prendre le relais. C’est la raison pour laquelle notre première recommandation est de porter de deux à six mois la durée du référentiel retenu aujourd’hui par les Armées pour déterminer le niveau des stocks de munitions et de matériels de base nécessaires pour conduire un affrontement de haute intensité. Ce changement de référentiel nécessiterait bien évidemment des moyens supplémentaires que nous souhaitons évaluer précisément dans les mois qui viennent.
Le deuxième sujet important sur lequel nous insistons concerne le renouvellement des composantes de la dissuasion nucléaire qui sera engagé en 2025. Les autorisations d’engagement augmenteront de presque 700% à près de 26 milliards d’euros afin de permettre le renouvellement à la fois de la composante aéroportée (ASM4G) et de la composante océanique (M 51.3 et SNLE 3G). Ces équipements s’inscrivent dans le temps long mais ils sont fondamentaux pour garantir la sécurité des générations futures à un moment où le contexte stratégique est redevenu moins prévisible. Notre deuxième recommandation est donc de sanctuariser les moyens nécessaires à notre dissuasion nucléaire. Les dernières annonces américaines et russes nous y invitent.
Si nous estimons essentiel de rappeler la nécessité de garantir les moyens de la LPM, c’est aussi parce que le ministre des Armées a volontairement entretenu le flou sur la gestion de ces crédits. Alors que le délégué général à l’armement (DGA) nous a rappelé que 532 millions d’euros de crédits seraient annulés en 2024 sur le programme 146 (après l’annulation de 505 millions d’euros en 2023) pour financer les opérations extérieures (OPEX), le ministre a ouvert la perspective qu’une part croissante des OPEX pourrait à l’avenir être financée par les crédits de la LPM, en contradiction avec le principe qui avait été réaffirmé lors des débats au Sénat.
Compte-tenu de l’importance que devraient prendre les missions de réassurance sur le front est-européen dans les années à venir, leur financement par le budget des Armées reviendrait en réalité à ne plus respecter la LPM. C’est la raison pour laquelle notre troisième recommandation vise à préserver une contribution forfaitaire du ministère des Armées au financement des OPEX mais également à assurer la transparence du coût des OPEX « non combattantes » et des opérations menées sur le territoire national (Nouvelle-Calédonie, Sentinelle, JOP 2024…).
Au sujet du SCAF pour lequel l’année 2025 sera une année décisive, la coopération industrielle demeure complexe. Si le recours à la méthode des piliers a permis de répartir le travail en respectant les savoir-faire de Dassault et Safran, des inquiétudes existent. Il est donc nécessaire pour tous les industriels associés au programme, notamment sur la partie moteur, d’être au rendez-vous tant en termes d’excellence technologique que de niveaux d’investissement.
Le principal sujet d’achoppement concerne toujours la différence d’organisation entre la France et l’Allemagne en matière d’agrément des exportations d’armement. L’accord franco-allemand, signé en octobre 2019, n’a en réalité pas permis de lever les incertitudes puisqu’il ne concerne que les exportations pour lesquelles les produits industriels allemands ne comptent que pour moins de 20% du total. L’expérience récent du contrat Eurofighter en Arabie Saoudite a mis en évidence que le Bundestag n’entendait pas se dessaisir de cette compétence et qu’elle était un enjeu majeur des contrats de coalition. La DGA nous a indiqué qu’un sommet organisé le mois prochain autour du SCAF devrait permettre de clarifier le régime des exportations et les caractéristiques de l’avion qui doit être capable d’aponter et de porter le missile nucléaire. L’absence de restriction à l’export était une condition sine qua non posée par la France pour engager ce programme. Si elle devait ne pas être respectée, c’est son avenir même qui serait remis en cause.
Il nous apparaît d’autant plus nécessaire de réaffirmer nos « lignes rouges » que l’on voit émerger outre-Rhin l’idée de créer une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s’opposer à un contrat d’exportation négocié par les autorités françaises. Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d’exportation et donc de fragiliser l’équation économique et financière du programme SCAF. C’est la raison pour laquelle notre quatrième recommandation vise à organiser un débat au Parlement en 2025, après les élections allemandes, sur l’avenir du SCAF. De même, notre cinquième recommandation consiste à refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d’armements ayant fait l’objet d’un programme commun européen. La France doit demeurer souveraine en matière d’exportation d’armements.
En conclusion, et au regard de nos recommandations, j’ai proposé que la commission donne un avis de sagesse à l’adoption des crédits du programme 146 dans la mission « Défense » afin d’obtenir plus d’engagements de la part du ministre des Armées lors du débat en séance publique.